En bonne chargée d’études médias, j’ai lu de nombreux rapports chiffrés sur les pratiques des jeux vidéo des français. Mais, puisque je ne joue pas moi-même, j’ai parfois du mal à vraiment comprendre. J’ai donc demandé à Sören, un passionné de jeux vidéo de 16 ans, de m’expliquer. Pendant 1h, nous avons simplement échangé sur ses pratiques et ses ressentis. Cette immersion dans la tête d’un joueur m’a beaucoup appris, voici ce que j’en retiens.
Il s’agit donc d’un témoignage individuel, certainement pas représentatif de la population de joueurs. Il est à prendre comme un outil parmi d’autres pour saisir avec plus de finesse cet univers du gaming, rester à jour et avoir quelques clés pour dialoguer avec d’autres passionnés. Si vous souhaitez compléter avec une étude en bonne et due forme, je vous conseille celle-ci (SELL, 2024).
3 jeux importants pour Sören et pourquoi ils l’ont marqué
1/ Fortnite : un espace social de substitution pendant le confinement
Fortnite est un des jeux les plus populaires au monde, surtout auprès des jeunes. Multijoueurs, il est de type battle royale : jusqu’à 100 joueurs sont parachutés sur une île et doivent s’affronter jusqu’au dernier survivant.
C’est pendant son année de 6eme, en plein COVID, que Sören est vraiment tombé dedans. Avec ses amis, ils ont pris l’habitude de s’y retrouver tous les jours pour jouer mais surtout pour échanger. Fortnite permet en effet de discuter via son micro avec les membres de sa partie. Prétexte pour passer du temps ensemble, le jeu est clairement devenu un lieu de sociabilité nécessaire à son groupe en ces temps d’isolement. Il y a ainsi passé 4000 heures au total (sur Switch puis PS4), jusqu’à l’overdose comme il dit.
A noter : d’après l’étude SELL, la pratique du jeu vidéo des ados se caractérise par une bien plus forte tendance que chez les adultes à jouer à plusieurs (en ligne ou en local).
2/ Pokémon Saphir Alpha : l’apprentissage de la persévérance et de la stratégie
Le principe est simple, surtout si on connait le dessin animé : il faut capturer et faire évoluer toutes sortes de Pokémon, puis combattre dans l’arène jusqu’à devenir le meilleur dresseur.
C’est le jeu qui a le plus marqué Sören qui, très jeune sur sa 3DS, y a découvert le plaisir d’évoluer dans un univers ‘mignon’ au milieu de créatures attachantes. Mais aussi celui de poursuivre une quête, de persévérer au fil d’étapes imposées de plus en plus difficiles. Il y a fait ses premières expériences de calcul stratégique, en réfléchissant à comment optimiser ses combats (si vous avez joué aux cartes, vous connaissez ce principe de combinaisons des éléments pour maximiser son impact).
3/ Jurassic World Evolution : premiers pas en entreprise
C’est un jeu dit de gestion : on y endosse le rôle du directeur d’un parc à dinosaures qui doit développer son activité.
Sören y a beaucoup joué à ses 13 ans, sur PS4. Il m’explique les différentes missions qu’il y réalisait, qui sont en fait celles d’une activité économique classique : gérer les bâtiments (attractions, enclos, centre de soins…), garder un œil sur des KPI clés, assurer la rentabilité du business, recruter, développer un pôle R&D, assurer la communication ou encore la sécurité des visiteurs…
5 choses que j’ai comprises grâce à notre échange
Le jeu en fil rouge de l’enfance et de la famille
Les jeux vidéo ont toujours fait partie de la vie de Sören. À 4 ans, il joue déjà avec ses grands frères et sœurs sur leurs consoles de l’époque. C’est eux qui lui transmettent leur enthousiasme, leurs conseils. Les jeux ont donc toujours participé – et participe encore – à souder ses liens familiaux. C’est par ailleurs par le prisme du jeu qu’il se souvient de moments clés de son enfance, comme l’apprentissage de la lecture.
Un passe-temps comme un autre
La pratique s’est ancrée dans son quotidien sous forme de routines qui ont évolué au cours de sa vie. Aujourd’hui, à 16 ans, il a encore ses petits rituels : jouer après le petit-déjeuner en vacances ou après les devoirs en guise d’auto-récompense. Pour lui, les jeux sont un passe-temps casanier comme un autre. Et donc, naturellement, le temps passé à jouer varie en fonction de la place que prennent ses autres centres d’intérêt : lecture, batterie, autres médias…
En fait je ressens que même si Sören joue tous les jours, il n’est pas ‘accro’. Du moins pas plus que je le suis à scroller Twitter ou regarder les quotidiennes de mes programmes télé préférés (coucou la Star Ac) : j’ai moi aussi mes rituels quotidiens, qui peuvent aisément sauter si j’ai mieux a faire.
Voyage et évasion
S’évader, voyager. C’est la principale attente de Sören quand il joue. Pour lui, les jeux ont les mêmes vertus divertissantes que les livres, les séries ou les films. A la différence que le spectateur devient acteur, que la plongée dans l’univers fictif est augmentée par le fait d’incarner un de ses protagonistes – notamment dans les fameux Role Playing Games (RPG).
Sören est d’ailleurs particulièrement fan des jeux en open world, ceux où le joueur n’est pas tenu de suivre un fil conducteur comme dans les jeux dit en couloir. Il est au contraire libre d’explorer dans ses moindres recoins un vaste univers, qui réserve son lot de secrets.
S’il comprend la crainte de certains quant à la confusion entre réalité et univers fictif, elle lui paraît un peu absurde. Pour lui, les règles du jeu sont évidemment dissociées des règles de la vie. De même, les interactions et les liens virtuels sont bien différents de ceux IRL. Comme il le souligne avec humour, il ne mettra jamais au même plan ses Pokémons et ses chiens.
Une passion qui dépasse la simple action de jouer
Au-delà du plaisir de jouer, Sören est animé par la culture du jeu vidéo : son histoire, ses tendances, ses différents univers. Il passe beaucoup de temps à se renseigner sur le sujet, regarder des vidéos YouTube d’experts (comme Joueur du Grenier ou Edward) ou à suivre en direct des parties. Le jeu n’est finalement que la partie ‘active’ de sa passion.
Ce qui me semble alors intéressant en comparaison avec d’autres hobbies, c’est l’accessibilité de la pratique de l’objet d’intérêt : pouvoir jouer tous les jours, chez soi, depuis son ordinateur, s’inspirer des conseils ou des parties de pro sur ces mêmes jeux auxquels on joue, se voir progresser rapidement…
Déconstruire l’image du gamer
La figure du gamer est bien souvent réductrice. Sören me rappelle qu’il existe une quantité folle de profils de joueurs. Selon les types de jeux joués, les supports et modes de jeux favoris, l’ancrage dans une communauté ou encore les motivations qui sous tendent la pratique.
Il me conseille aussi de me méfier des représentations du joueur fou, qui casse tout. S’il est vrai que certains joueurs adoptent ce genre d’attitude extrême en live, c’est selon lui pour le show et surtout pas représentatif de l’ensemble de la communauté.
Mots de la fin
En conclusion, je voudrais transmettre les conseils de Sören aux parents de joueurs – visiblement inspirés de la posture qu’adopte sa propre mère.
Premier conseil : ne pas paniquer. Ce n’est pas parce que votre enfant s’intéresse aux jeux vidéos qu’il va finir ‘bon à rien’ ou s’isoler du monde. Au contraire, il est peut être en train de développer une passion qui le stimule et le fait grandir.
L’essentiel est selon lui que les parents s’intéressent sincèrement à la pratique et puissent l’accompagner. En parlant avec leurs enfants, ou simplement en se renseignant sur leurs jeux préférés sur internet. Ils peuvent y trouver le scénario, les missions types et les indications de l’éditeur (age conseillé, trigger warning éventuels…). Mais le mieux reste de jouer avec eux !
J’ajoute à ce sujet deux liens utiles pour les personnes qui côtoient des jeunes joueurs, et qui se sentent peut-être inquiets :
- Un article de la revue L’Ecole des Parents, écrit par Serge Tisseron et Isabelle Gravillon, sur les atouts des jeux vidéo et leurs conditions de réalisation.
- Les conseils de l’association E-enfance pour apprendre à distinguer une pratique normale d’une addiction aux jeux vidéos, et comment agir.
(Encore merci Sören !!)