Scans de mangas, chroniques Wattpad et threads Twitter. Je vous propose un tour d’horizon des contenus qui révèlent les nouvelles formes de lecture adoptées par les jeunes générations. On ne contredira pas le triste constat que ces dernières lisent moins de livres traditionnels, au profit des écrans. L’idée est plutôt d’explorer les pratiques de lecture qui émergent sur ces mêmes supports numériques, et qui nous prouvent que le plaisir de lire n’est pas mort chez les jeunes !
Je m’appuie ici sur l’étude « Les jeunes Français et la lecture en 2024 » (IPSOS pour le CNL), les témoignages d’ados que je côtoie dans le cadre associatif et sur mes connaissances. N’hésitez donc pas à compléter avec vos propres expériences !

Les chiffres qui préoccupent
L’étude du CNL auprès des 7-19 ans a suscité beaucoup d’inquiétude. Les jeunes sont de moins en moins nombreux à lire des livres : 81% lisent des livres pour le loisir (soit un recul de 2 points vs. 2022, mais +3 vs. 2016). Le décrochage est particulièrement marqué après le collège, chez les 16-19 ans, qui ne sont plus que 62% à lire pour le loisir (-12 points vs. 2022).
Pour information, la part de lecteurs déclarés sur l’ensemble de la population française s’élève à 86% d’après un autre baromètre IPSOS de 2023.
Autre chiffre qui inquiète : les jeunes passent 10 fois plus de temps au quotidien sur les écrans qu’à lire des livres (3h11 vs 19 min).
Mais tous les chiffres ne sont pas en chute libre. La pratique du livre numérique sur écran, principalement de smartphone, progresse. 44% des jeunes en consomment (+11 points vs. 2022). Et les 16-19 ans, mauvais élèves sur papier, se démarquent ici : 67% lisent des œuvres numériques (+12 pts vs. 2022).
Une dynamique qui invite à s’intéresser à ce que consomment les jeunes en ligne…
3 phénomènes lectures qui rassurent
Bien que plus fragmentés dans leur forme, certains contenus numériques offrent une expérience proche de la lecture de livres. Ils exigent une attention et un engagement similaires à la pratique plus traditionnelle. Bien sur ils posent questions, à commencer par celle des écrans Mais que leur succès vous rassure : le plaisir de lire, personnel ou partagé, n’est pas mort !
Les mangas numérisés
La moitié des livres papiers lus par les jeunes Français sont des mangas. Et comme le souligne l’étude, la popularité du genre alimente aussi l’engouement pour la lecture en ligne.
Un objet dont j’entends beaucoup parler autour de moi : le scantrad, ou scan traduit. Disons qu’un chapitre d’un manga, comme One Piece, vient de paraitre au Japon. En France, des groupes de fans impatients s’organisent pour récupérer au plus vite la version digitale de ces pages inédites, la traduisent et la diffusent aux autres fans sur des sites dédiés.

Plus globalement, on trouve sur internet de nombreux catalogues gratuits de mangas numérisés. Bien que cette pratique soit devenue une norme pour une partie de la communauté, rappelons qu’il s’agit techniquement de piratage. Il existe des sites et des applications qui proposent d’y accéder en toute légalité, moyennant un abonnement ou un paiement unitaire.
Si vous doutez encore de la richesse du genre, je vous invite à écouter l’interview de mon ami Amaël sur le sujet.
Les chroniques Wattpad
Dans la catégorie lectures numériques à succès, on retrouve aussi la myriade de contenus disponible sur Wattpad.

Le site publie les créations d’auteurs amateurs, auprès d’un public jeune et féminin. La majorité des œuvres sont diffusées en plusieurs parties, en plusieurs temps.
L’expérience utilisateur est celle d’un réseau social : on s’abonne à des créateurs, on reçoit des notifications quand ils publient, on like les contenus, on les commente pour échanger avec d’autres lecteurs ou tenter d’influencer l’auteur sur la suite de l’histoire.
Même si la plupart des genres classiques sont représentés sur le site, c’est la romance (voire la dark romance) qui engage le lectorat Wattpad. Le style de la chronique, dont m’ont parlé plusieurs ados autour de moi, en est caractéristique. Ecrites comme dans un journal intime, ces histoires sont souvent celles de jeunes filles de classes populaires vivant d’incroyables aventures amoureuses (parfois assez problématiques à mon sens…). Pour vous donner une idée, parmi les chroniques les plus lues en France (jusqu’à 50M de lectures pour certaines) : Kidnappée par un chef de gang ou Mariée à mon propre ennemi. Personnellement, j’ai été choquée par les niveaux d’engagement sur ces récits. On observe par exemple plus de 90k commentaires, rien que sur le premier chapitre d’un d’entre eux.
J’aime beaucoup le principe de Wattpad, mais il me semble important en tant qu’adulte d’accompagner les jeunes dans leur expérience : les aider à choisir un contenu adapté à leur âge (beaucoup de contenus olé olé et/ou violents), discuter des sujets abordés, repérer les contenus avec beaucoup de fautes de français…
Petite digression stratégie éditoriale : la puissance du feuilletonnage
Que ce soit sur les scantrads ou ces chroniques Wattpad, on note l’efficacité de la publication par ‘fragments’. Les contenus sont diffusés au goutte à goutte, alimentant l’assiduité de leur audience.
Le séquençage est un levier répandu sur les réseaux et donc bien connu du jeune public. Je pense entre autres aux story-times en plusieurs parties sur TikTok, récits de vie proposés par des créateurs qui jouent avec l’impatience du spectateur. Incité à commenter pour connaitre la suite, le curieux fait grimper les chiffres d'engagement et ravit ainsi l'algorithme.
On peut aussi évoquer le thread Twitter, format inventé par les internautes et adapté aux contraintes de format du réseau, pour raconter en temps successifs des histoires (beaucoup de fictions horreurs ou faits divers).
BookTok
Le dernier sujet dont je souhaite parler concerne davantage la lecture traditionnelle. Il redonne espoir en l’intérêt de la jeunesse pour le livre papier.

Selon l’étude, 33% des jeunes choisissent leurs livres après en avoir entendu parler sur internet. Il s’agit donc de la deuxième source de prescription, derrière les conseils de l’entourage (45%).
Si vous utilisez TikTok, vous vous êtes surement déjà retrouvés dans le BookTok. Cette ‘région’ du réseau est accessible via le hashtag du même nom et regroupe la multitude de contenus relatifs aux livres. Une sorte de Grande Librairie 2.0, si vous êtes plus France 5 que TikTok.
Si n’importe qui peut poster une vidéo BookTok pour parler d’une de ses lectures, certains créateurs comme Lili books se consacrent entièrement à la mouvance. Différents formats codifiés composent leurs pages : livres lus lors du mois écoulé, revues des dernières sorties, recommandations pratiques (ex : meilleurs livres pour sortir d’une panne de lecture), des sélections en fonction de ressorts littéraires précis (ex : from ennemies to lovers)…
A noter que, conscients de son impact, les acteurs du livre se sont emparés du concept. Certaines librairies mettent en avant les livres populaires dans le BookTok, pour satisfaire la demande d’une jeune clientèle motivée par ces nouveaux prescripteurs.
Je n’ai présenté ici que 3 pièces de culture internet, soit une infime partie de tout ce qu’il se passe en ligne et qui s’apparente de près ou de loin à de la lecture. Comme d’habitude, je vous invite à en discuter avec les jeunes qui vous entourent et qui auront certainement beaucoup à vous apprendre sur ces nouvelles pratiques !