J’ai lu le livre La Fracture à sa sortie en septembre 2021. Souvent depuis, je mobilise certains de ses enseignements pour discuter de ce que veut dire être jeune en France, de façon large.
Frédéric Dabi et Stewart Chau y dressent en effet le portrait des jeunesses d’aujourd’hui. Leur base de données : les résultats d’une enquête menée par l’IFOP auprès des 18-30 ans français en février 2021 (le contexte COVID est donc à garder à l’esprit lors de la lecture). Le tout avec comme points de comparaison le reste de la population bien sûr, mais surtout les chiffres des précédentes vagues de l’étude qui a été réalisée plusieurs fois depuis les années 1950 sur cette même tranche d’âge. Si le sujet vous intéresse je vous recommande fortement de lire l’ouvrage, mais d’ici-là voici quelques-uns de ses constats qui m’ont marquée.
*Enquête IFOP pour Les Arènes : 1513 personnes 18-30 ans interrogées en ligne du 12 au 17 février 2021 selon méthode des Quotas.
La première partie de l’ouvrage est consacrée au désenchantement des jeunes, qui tirent de la crise sanitaire des expériences difficiles mais fédératrices.
Premier chiffre à avoir en tête : 16% des 18-30 ans se déclarent malheureux, contre 5% de la même tranche d’âge en 1999. A ce mal-être s’ajoute l’impression d’avoir été sacrifiés, notamment au cours de la crise sanitaire qui les a selon eux frappés de plein fouet et les laisse avec de lourdes dettes. Des épreuves collectives bien identifiées, qui pourraient en partie expliquer la forte conscience générationnelle que révèle l’étude. 89% des jeunes adultes pensent appartenir à une génération singulière, contre 81% des 18-30 ans en 1999 ou 16% en 1957. Et malgré un regard désillusionné sur la société, les jeunes font preuve d’un fort optimisme individuel. 73% des 18-30 ans se déclarent optimistes en pensant à l’avenir, bien au-dessus des 30% de la population totale.
La deuxième partie se concentre entre autres sur les valeurs, individuelles et citoyennes, de la jeunesse.
La chose publique et ses incarnations (France, République, personnel politique…) sont remises en question par les moins de 30 ans. Comme l’ensemble de la population, ils doutent du statut de grande puissance de la France (54% lui accorde ce statut, -22 pts vs. 1999). A noter : 71% sont fiers d’être français (vs. 83% de la population totale). Le rapport à l’État divise lui aussi les jeunes adultes : 52% y associent une connotation positive (vs. 56% pour les +30 ans). De même pour celui à la République : 51% la voient comme quelque chose de concret (vs. 68% pour les +30 ans). Globalement, l’étude souligne une méconnaissance et une défiance envers le personnel politique. Et par rapport aux plus âgés, une attente ferme de probité et d’authenticité de la part des représentants.
La jeunesse est loin de rejeter les aspirations traditionnelles, mais les redéfinit et les complète par des lectures plus inclusives de la société. L’étude révèle une convergence entre les valeurs des 18-30 ans et celles du reste de la population, plutôt traditionnelles. Les concepts de famille, effort, solidarité, travail et tradition restent fondamentaux et ressortent même plus fortement que lors des précédentes vagues de l’étude. Mais les jeunes adultes se distinguent du reste de la population sur certaines opinions sociétales. Une partie d’entre eux mobilise une grille de lecture de la société qui s’appuie sur les notions d’inégalités et de discriminations. Attention tout de même à ne pas caricaturer : si une part grandissante de la jeunesse se sent concernée par les sujets parfois associés au wokisme*, elle reste encore minoritaire. La laïcité est redéfinie par une partie de la jeunesse comme une garantie d’égalité des religions. Elle ne se retrouve pas dans la vision classique du concept fondée sur l’assimilation, la séparation du politique et du religieux. A noter que pour la première fois depuis 40 ans, un jeune sur deux croit en Dieu. Enfin, il s’agit d’une génération confrontée à une « récurrence presque obsédante d’événements autour du climat » (tsunamis, sécheresses…) qui a rendu évidente la prise de conscience de l’urgence environnementale. Le statut « d’enjeu prioritaire » accordé à l’environnement est reconnu par 6 jeunes sur 10.
* Wokisme = état d’éveil face à l’injustice et à l’oppression qui pèserait de manière systémique sur les minorités. Deux piliers : défense des identités et rejet des injustices.
Le salariat est toujours valorisé, mais les attentes envers l’entreprise s’affirment. Le concept de travail est de plus en plus associé par les jeunes adultes à celui de plaisir, qui dénote d’une vision plus contraignante, aliénante, exprimée par les générations plus âgées. Une part importante d’entre eux refuse que le travail empiète sur leur vie personnelle, mais amène naturellement des notions informelles dans la sphère professionnelle. Comme l’amitié entre collègues, la flexibilité des horaires de la journée, les pauses « sorties » … Attention : ils ne sont pour autant pas favorables au télétravail généralisé, mais aimeraient plutôt transposer ses bienfaits au présentiel. Ils se montrent plus attentifs que leurs aînés aux notions de solidarité et de bienveillance en entreprise. L’ambiance au travail est un item survalorisé, tout comme le bien-être personnel et collectif. Enfin, la jeune génération est particulièrement exigeante quant à l’impact sociétal de son entreprise. Elle a besoin de se reconnaître dans les valeurs portées par son entreprise, de l’admirer.
La dernière partie de l’ouvrage analyse la campagne présidentielle 2022 au prisme de la jeunesse. Et entre autres, sa totémisation au service des stratégies marketing des candidats.
La pandémie a en effet accéléré le surinvestissement des politiques auprès des jeunes, qui a pris la forme de discours compatissants et l’adoption de postures providentielles par les candidats. Surinvestissement, parce qu’objectivement les 18-30 ans sont 7,9M en France (vs. plus de 12M pour chaque tranche d’âge plus âgée). Mais cette intensité va de paire avec le fantasme ancré de la jeunesse comme groupe avant-gardiste et relai d’opinion.
Salut Johanna, précieuse recommandation que je note pour la médiathèque. Bises Béa
1 jeune sur 2 croit en Dieu ! My God !