Conseil lecture du jour : Sois jeune et tais-toi, de Salomé Saqué – journaliste pour le média en ligne Blast (entre autres).
J’ai tout de suite été attirée par le sous-titre du livre : réponse à ceux qui critiquent la jeunesse. La promesse de cet essai me parle en effet beaucoup. La journaliste entend nuancer les discours type les jeunes c’était mieux avant, en s’attaquant aux principaux reproches communément adressés aux nouvelles générations. Avec comme intention forte de donner une voix à cette jeunesse qu’elle estime beaucoup discutée, mais peu écoutée.
Pour ce faire, la journaliste mobilise un impressionnant corpus : des entretiens avec des sociologues, politistes et économistes, des études, articles et ouvrages, mais aussi une centaine de témoignages qu’elle a recueillis. J’ai beaucoup apprécié, en introduction, l’aveu de biais personnel :
Si cette enquête sur la jeunesse se veut aussi sourcée et sérieuse que possible – données chiffrées et études scientifiques à l’appui -, elle n’en demeure pas moins l’expression d’une certaine appréhension du monde : la mienne.
Les 280 pages se lisent très bien, d’une traite ou en mode picorage. Elles sont organisées en 3 parties, correspondant à 3 grands types d’a priori sur la jeunesse : sa paresse, sa tendance à se prendre la tête pour un rien et son absence d’engagement. Les 3 chapitres sont eux mêmes divisés en de multiples sous parties thématiques, claires, nettes et précises.
Quand certains clament que la jeunesse : c’était mieux avant, ils oublient que le contexte l’était peut-être également.
Cette phrase de la conclusion résume bien le sentiment que laisse le livre. Sans victimiser les nouvelles générations ou leur trouver des excuses, la journaliste souligne les changements structurels à prendre en compte si l’on tient vraiment à comparer les générations.
Une bonne partie de l’essai cherche à montrer en quoi les conditions économiques, l’emploi notamment, se sont dégradées sur les dernières décennies. Mais aussi comment la multiplication d’événements anxiogènes auxquels sont confrontées les nouvelles générations bouleversent leur rapport au présent et à l’avenir (changement climatique, crises sanitaires, guerres, climat politique…).
Salomé Saqué explore en parallèle d’autres sujets d’incompréhension entre générations : nouvelles formes d’engagements politiques, rapports aux réseaux sociaux, au travail, à l’actualité, à l’argent…
Je trouve l’exercice de synthèse très réussi. On ne se perd pas dans l’importante palette de sujets couverts. Au contraire, je suis ressortie de cette lecture avec une vision éclaircie des enjeux de la fameuse fracture générationnelle. Et personnellement, même si les constats qui s’enchaînent sont rudes, je n’ai pas été plombée. La perspective est rafraîchissante et donne espoir dans la possibilité d’ouvrir des dialogues constructifs entre générations.
Avant de terminer cet article, je voulais vous partager un concept que j’ai découvert dans Sois jeune et tais-toi et qui m’a beaucoup intéressée : le phénomène du Kids these days.
Salomé Saqué introduit ce concept avec une succession d’exemples, remontant jusqu’à 720 avant JC, de discours où la jeunesse est dépeinte comme paresseuse, décadente et égoïste. Deux psychologues, John Protzko et Jonathan W. Schooler, ont analysé cette répétition et donc théorisé le concept Kids these days.
Pour eux, la perception négative des jeunes est un phénomène récurrent à travers l’histoire. Plusieurs facteurs alimentent cette redondance, notamment les biais de rétrospection. Autrement dit : notre tendance à idéaliser le passé en oubliant les aspects négatifs de notre propre jeunesse. Et donc à comparer chaque acte de la génération d’aujourd’hui à des souvenirs édulcorés des précédentes.
Autres facteurs explicatifs du jugement facile selon eux : les changements structurels, de valeurs et de comportements, qui entraînent l’incompréhension et donc le rejet mutuel, mais aussi la tendance médiatique à cadrer les sujets jeunesse sous un angle négatif et caricatural.