Je vous partage ici mes différentes réflexions et prises de parole quant au sujet très discuté de l’interdiction des réseaux sociaux au moins de 15 ans.
Pour commencer, une recommandation lecture : Faut-il interdire les réseaux sociaux aux jeunes ? Une idée tentante. Mais comme le rappellent les auteurs tout au long de ce livre : toujours se méfier “des solutions simples à des problèmes complexes“. Au milieu du vent de panique actuel quant aux pratiques numériques des plus jeunes, cet ouvrage souffle la nuance et fait du bien.
Les auteurs y décortiquent les différents enjeux qui sous-tendent cette vaste question, et donc les différents champs sur lesquels on peut agir. Parmi eux :
💭 Réguler les plateformes et leurs modèles toxiques, auxquels les jeunes sont particulièrement vulnérables mais qui nous concernent tous.
💭 Éduquer et accompagner pour donner aux jeunes (et, encore une fois, aux moins jeunes aussi) les moyens de se protéger en ligne.
💭 Créer des alternatives aux réseaux, en ouvrant d’autres espaces où les jeunes peuvent s’exprimer, s’informer et se retrouver (à l’heure où ces lieux se font rares hors-numérique).
💭 Entretenir un dialogue entre générations, basé sur “la confiance plutôt que sur la défiance“, pour maintenir le lien et donc la protection.
💭 Mieux comprendre les pratiques numériques des jeunesses, en s’appuyant sur la recherche et le terrain, pour construire des actions plus justes et adaptées.
Bref, gros coup de cœur pour ce livre dont je vous recommande fortement la lecture.

Ensuite, quelques questions que j’avais préparé pour la venue d’Emmanuel Macron à Marseille le 16 décembre 2025. Il était venu évoquer « la démocratie à l’épreuve des réseaux sociaux » et donc son projet visant à en interdire l’accès aux moins de 15 ans. N’ayant pu les lui poser, je les partage tout de même ici, dans l’espoir d’apporter ma contribution au débat démocratique.
1. Comment éviter les risques liés à l’usage clandestin des réseaux sociaux ?
Ce que l’on constate, en échangeant avec des adolescents ou en consultant des rapports récents comme ceux de l’ARCOM, c’est que la quasi-totalité des 11-17 ans est présente sur les réseaux sociaux. Et ce, malgré les interdictions existantes : celles posées par les parents ou celles mises en place par les plateformes elles-mêmes, via des protocoles de vérification censés garantir le respect des âges minimums (13 ans, en général).
Les effets de cette clandestinité apparaissent très clairement dans les témoignages de jeunes que je rencontre. Beaucoup n’osent pas se confier ni demander de l’aide aux adultes de leur entourage lorsqu’ils sont confrontés à des situations dangereuses : approches d’inconnus mal intentionnés, exposition à des contenus choquants, difficulté à se déconnecter… Parce qu’ils n’avaient pas le droit d’être là, ils se sentent coupables de ce qui leur arrive et gardent le silence.
Comment s’assurer alors que cette mesure, censée protéger les plus jeunes, n’ait pas pour effet inverse de les laisser encore plus seuls face aux risques en ligne ?
2. Quels efforts sont prévus pour proposer des alternatives hors écran aux moins de 15 ans ?
Si les dangers évoqués par le Président sont bien réels et largement illustrés dans les récits des plus jeunes, ils coexistent avec des usages quotidiens plus positifs : accès à l’information, espaces de sociabilité, de soutien, d’expression, de création, d’éducation ou encore de citoyenneté. Autant d’opportunités qui ne sont pas toujours simples d’accès dans « la vraie vie », et ce de manière très inégale selon les conditions de vie de chacun.
On sait par exemple que les jeunes générations actuelles sont, comparativement aux précédentes, beaucoup moins autorisées à passer du temps dehors. Elles disposent donc de moins d’occasions de sociabiliser ou d’explorer le monde à l’air libre, à l’abri du regard des adultes. Et aussi triste ou inquiétant que cela puisse paraître à certains, les plateformes sociales offrent aujourd’hui des alternatives pour répondre à ces besoins fondamentaux de l’adolescence.
Dès lors, comment prévoit-on, en parallèle d’une interdiction, de combler les manques qu’elle risque de révéler ? Car là encore, si l’objectif est d’améliorer le bien-être et la liberté des jeunes, il est essentiel de s’assurer que des relais concrets existent dans le monde réel.
3. Que fait-on du cœur du problème ?
En plaçant la focale sur les jeunes et leurs « mauvais usages » des réseaux sociaux, on oublie parfois que les dangers trouvent leur origine du côté des adultes. Ceux qui conçoivent les modèles économiques des plateformes, fondés sur la dépendance et la viralité de contenus choquants, ceux qui dirigent des réseaux criminels recrutant via les réseaux, les prédateurs qui approchent les jeunes en ligne, ceux qui créent et diffusent des fausses informations, ceux qui orchestrent des campagnes de cyberharcèlement…
Ce sont leurs actes qui rendent aujourd’hui les espaces numériques dangereux, à une échelle qui nous dépasse collectivement. Au point que l’on en vienne à vouloir en extraire les plus vulnérables d’entre nous. Une forme d’aveu d’échec quant à la régulation de nos univers connectés, profondément inquiétant pour notre société et pour son avenir.


